Claude Le Jeune (v. 1535-1600) composa un ensemble de chansonnettes en vers mesurés à l’antique appelé « Le Printemps ». Quatre siècles plus tard, Denis Raisin Dadre, Directeur artistique de Doulce Mémoire, présente une nouvelle version suivant la notation du document original conservé à Paris. Cette production, accompagnée par la sortie d’un disque, reçu un accueil exceptionnel de la part du public du « Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo ». La salle entière demanda un « bis », ce qui, il faut l’avouer, est assez rare pour de la musique de Contrepoint. Ce début de programmation de Marc Monnet pour la thématique « Musique de la Renaissance » est un sans faute. (photos © Luc Detours)
Claude Le Jeune et l’ « Académie de poésie et de musique »
En 1570, Charles IX (1550-1574) créa cette académie sous l’impulsion de Jean Antoine de Baïf (1532-1589). Ce poète cherche à appliquer à la langue française les qualités métriques de la poésie de l’Antiquité. Le projet a pour intention de « ressusciter la rythmique aujourd’hui si négligée qui été mise par les anciens en telle perfection qu’ils en avaient fait des effects merveilleux ». Ce qui tend à prouver que certains soucis actuels ne sont pas nouveaux…
« Le Printemps » de Claude Le Jeune paru dans l’édition Ballard de 1603. Il est le fruit de ce contexte intellectuel et humaniste de la Pléaide. Les vers sont notés dans une orthographe phonétique inhabituelle. Le son de chaque syllabe est visualisé par un signe « u » ou « – » pour signifier une brève ou une courte. Cela donne une prononciation et une prosodie précisément prescrites. Les musiciens doivent suivre la partition. Une syllabe brève par une note noire et la longue par une blanche. Comme le souligne Isabelle His, musicologue, Claude Le Jeune choisira de réunir le meilleur de l’Antiquité (la mesure, la rythmique des vers) avec le meilleur de son temps (le contrepoint).
Denis Raisin Dadre et Claude Lejeune
Pour « coller » au mieux à la partition de Claude Le Jeune, Denis Raisin Dadre s’est trouvé confronté à plusieurs difficultés. D’abord, comme il le dit précisément : « il faut oublier la musique et ne se consacrer qu’à la déclamation ». Avec Olivier Bettens, historien de celle-ci, ils se sont penchés sur la spécificité des textes de de Baïf. Il semble, pour Olivier Bettens, avoir d’abord isolé au sein de la langue des syllabes typiquement longues et brèves. En effet, dans le français du XVI° siècle, les personnes pouvaient faire la différence entre, par exemple, « goûter » et « goutter » ou « jeune » et « jeûne ». Cela permet de jouer sur la durée des syllabes. Comme la nasalité ou d’autres éléments, ils apportent des possibilités de déclamation importantes.
L’autre difficulté se situe sur le choix du diapason. Aujourd’hui, celui-ci est fixé à 440 Hertz depuis 1953 et cela partout dans le monde. Mais en France, dans les années 1570 et plus précisément à la Chambre du Roi, le diapason est bas, 387 Hertz. Il correspond aux flûtes colonnes qui se trouvent au Musée de la musique à Paris. Ce diapason permet également de placer toutes les voix du Printemps dans les tessitures naturelles et confortables. Il est choisi par Denis Raisin Dadre car plus proche de la voix naturelle de la déclamation et de fait loin de toute vocalité « héroïque ».
L’instrumentation s’est tourné vers les violes, flûtes colonnes, harpe et luth. L’ensemble permet de varier les couleurs mais pas seulement. En effet, la musique mesuré se caractérise par l’alternance chant et rechant (refrain). En respectant ces formes longues et courtes, l’auditeur se trouve « dans un état hypnotique voulu par les inventeurs de cette musique mesurée ».
La représentation du Printemps
Ce samedi 18 mars, l’ensemble Doulce Mémoire, nous donna une interprétation nouvelle du Printemps de Claude Le Jeune grâce au travail, entre autres, sur la déclamation. Si les voix étaient parfaites le lyrique prenait facilement le dessus rendant la compréhension des mots pas toujours aisée. L’orchestre a su rendre parfaite la sonorité sur le diapason choisi. Jamais il ne couvrit les voix, laissant aux chanteurs leur espace sonore. Une très belle interprétation.
Ce travail sur les textes, les partitions, sur la déclamation, change d’une façon radicale notre écoute de la musique Renaissance. C’est dans un monde nouveau que Doulce Mémoire avec son directeur artistique Denis Raisin Dadre nous invite. Mais une chose est certaine : l’écoute de la musique du XVI° siècle ne sera plus jamais la même.
Pour aller plus loin :
Discographie : Claude Le Jeune, Le Printemps, Doulce Mémoire, direction Didier Raisin Dadre – Edition Printemps des Arts de Monte-Carlo, 2017.
Site internet : Histoire de la déclamation : Olivier Bettens : virga.org
Bibliographie : Isabelle His, Claude Le Jeune, un compositeur entre Renaissance et baroque, Actes Sud, 2000.
Prochain « Musique de la Renaissance » :
Samedi 8 avril : Palestrina, Gombert et Lassus – Huelgas ensemble, direction Paul Van Nevel – Eglise Saint-Charles à 20H30.
FESTVAL PRINTEMPS DES ARTS DE MONTE-CARLO
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